Once upon a time..

Culturellement, on redoute l’inconnu. Insécurité, imprévisibilité, c’est donc apeuré que j’appréhende chacune de mes premières fois. Comme marqué au fer rouge, il y en a dont on ne peut se défaire. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Elle était là, assise en face de moi. Nous étions tous deux dans le train à destination de Paris. Certains y auraient là, à ce moment précis, déjà vu un présage favorable. Elle était radieuse, coins des lèvres inclinés. Elle portait ce petit sourire malicieux qui témoignait d’une confiance en elle assumée. La bandoulière de sa besace divisait parfaitement sa poitrine en deux surfaces de jeux vallonnées. Je peinais à lever les yeux, hypnotisé par ce qui allait devenir mon obsession pendant la durée de notre périple.

Tel Tarantino sous cocaïne, les scénarii se sont succédés dans ma tête à la vitesse de la lumière. Comment allais-je m’y prendre pour la faire entrer dans ma vie, la subtiliser à son monde. Je m’imaginais cowboy en quête de butin, chevauchant au galop et apercevant au loin une locomotive, terre promise de tous bandits de passage. En effet, l’annonce de notre arrivée imminente en gare de Paris me fit réaliser que nous n’allions plus être ensemble pour longtemps. Je me devais d’agir rapidement au risque de le regretter toute ma vie.

Comme toutes les premières fois, je me mis à trembler. Gestes incertains, maladroits, je perlais comme un soldat au front. L’adrénaline à son paroxysme, les images qui défilent ralentissent. J’ai l’impression d’assister au film de ma vie à vitesse réduite. Chacun des déplacements des passagers s’effectue en douceur dans un ballet gracieux que je semble être le seul à vivre. La belle se lève et dans mon occupation hasardeuse de l’espace, me bouscule. Mon regard se lève alors et plonge dans le sien. Elle me sourit, je reste figé. Elle ôte sa sacoche, libérant ses deux otages qui, comme deux frères séparés à la naissance, se retrouvent en jurant de ne plus se quitter. En effet, j’étais à nouveau obnubilé par son trésor de guerre. Elle m’interpelle et me demande de jeter un œil sur ses affaires le temps qu’elle aille se rafraîchir.

En l’espace d’une petite heure d’échanges inexistants, elle me faisait déjà confiance. N’était-ce pas là un avant-goût d’une prophétie dont j’allais être l’acteur principal ? C’était une opportunité inattendue, une occasion de mêler nos deux mondes, une chance de la faire rentrer dans ma vie. Il fallait juste que je prenne mon courage à deux mains et que j’attende encore quelques minutes. Je devenais incontrôlable, surexcité par la situation. Pour me calmer, je serrais sa sacoche contre moi en imaginant tout ce que nous pourrions faire ensemble. C’était décidé, je n’allais pas laisser passer cette occasion de rêve.

Le train est à l’arrêt, les portes s’ouvrent, je la vois revenir paisiblement au loin, sourire aux lèvres. A ce moment précis, chaque geste compte, je répétais la scène en tête afin d’éviter la moindre bourde, elle en valait la peine. Elle ne doit plus être qu’à une vingtaine de mètres de moi. La porte coulissante nous sépare encore, ma fenêtre d’action se réduit. Je pris mon courage à deux mains et sa sacoche contre mon corps, je me dirigeai en courant vers la porte dans la direction opposée de sa propriétaire. Dents apparentes, larmes aux yeux, je détalais comme un enfant heureux fuyant le parent réprobateur. Exécutant le sprint de ma vie, je pu rejoindre le Uber qui m’attendait à la sortie de la gare sans éveiller le moindre soupçon. Le cowboy et son butin étaient enfin réunis.
Je n’oublierai jamais mon premier tirage de sac-à-main.

Driss. 19/08/2019